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Travailleurs indépendants, quel contrat de travail ?

Sommaire

Tribune parue dans Les Echos le 29/07/2019

Ces derniers mois, les actualités juridiques autour des microentrepreneurs s’enchaînent : alors que des avocats toulousains attaquent Uber Eats en justice pour faire requalifier des contrats de travail de livreurs, la chambre sociale de la Cour de cassation semble aller en sens inverse en ne reconnaissant pas le lien de subordination entre un autoentrepreneur et la société Languedoc Géothermie, dans une affaire qui paraissait pourtant beaucoup plus évidente.

Mis en convergence, ces faits sont évocateurs d’un nouveau contexte juridique et social créé par la montée en puissance du travail indépendant. C’est d’ailleurs ce même contexte qu’évoquait il y a quelques jours à peine Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire à la réforme des retraites, dans ses préconisations pour la réforme universelle des retraites :

il faudra particulièrement suivre les impacts des nouvelles formes d’activité sur la couverture sociale des assurés. La surveillance des grands équilibres du système de retraite et, plus globalement, de la protection sociale seront également impératives

Et ce contexte a bien du mal à trouver sa place dans un monde très manichéen, où on est soit salarié (avec tout ce que cela emporte de protections et de contraintes), soit indépendant (c’est-à-dire, pour raisonner par la négative, travailleur non salarié). Manière de dire que le travailleur indépendant est une scorie, un ovni, un cas particulier dans le modèle bien huilé du droit social français.

Le résultat est que personne ne sait comment se dépêtrer du sujet des indépendants dès qu’il s’agit des grandes questions sociales : comment améliorer demain leur protection ? Leur faut-il un droit au chômage ? Comment sont-ils représentés dans les instances où ne siègent qu’employeurs et employés, eux qui ne sont ni l’un ni l’autre ? Doivent-ils avoir des droits moins élevés ?

Complexité administrative

Jusqu’alors, il n’y avait pas d’urgence à traiter de ces questions, car ce petit monde des travailleurs indépendants se suffisait à lui-même. Organisé en « cluster » autonome et finalement bien géré, il a su pendant 60 ans garantir une forme de stabilité et de protection. Puis il a explosé, poussé par l’arrivée massive d’autoentrepreneurs, l’explosion du monde des plateformes numériques en tous genres, le besoin de compétitivité des entreprises, et le repoussoir toujours efficace de la complexité administrative qui contribue à l’entrée en déshérence du salariat traditionnel. Plutôt que de gérer une déclaration unique d’embauche (DUE), une paye, une déclaration sociale nominative (DSN), et des cotisations en tous genres, les DRH préfèrent gérer des contrats de prestations…

Il faut désormais construire un nouveau contrat social autour du travailleur indépendant, qui continue son inexorable poussée. À ne rien faire, le paysage pourrait bien se révéler catastrophique à moyen terme, car notre modèle social n’est pas prêt. Ceux qui embrassent le travail indépendant, de gré ou de force, découvrent une protection sociale où les retraites sont moins élevées, les congés payés n’existent pas, la mutuelle n’est pas proposée, les allocations chômage sont inexistantes. Sans le dire clairement, ils cherchent dans ces nouvelles formes d’activité la liberté qu’ils n’ont pas avec le salariat, mais la protection qu’ils n’ont pas avec l’indépendance. La quadrature du cercle, en somme.

Requalification

Certains d’entre eux, se rendant compte après coup de l’inconfort de leur situation, veulent tenter une requalification en CDI , non sans un soupçon de malhonnêteté, arguant du fait qu’un lien de subordination existe entre l’entreprise et eux-mêmes, voire feignant carrément de découvrir qu’ils sont autoentrepreneurs, alors qu’ils émettent des factures depuis deux ans pour certains. Mais notre droit social, forcé de se remettre en cause, est à son tour totalement perdu. Les critères de requalification sont tellement flous que la jurisprudence en perd son latin. Les deux arrêts de la Cour de cassation sur l’affaire Languedoc Géothermie sont un modèle du genre : alors que la Cour plaide pour une requalification dans son premier arrêt, elle se range sur l’avis d’une non-requalification en seconde instance !

Les critères sont même passés au peigne fin pour arriver à une conclusion forte : un emploi du temps contraint, mais non quotidien, une dépendance économique réelle, mais choisie et le respect d'une procédure stricte ne sont pas suffisants pour requalifier en salarié... C'est toute la force de cet arrêt, qui permet d'éclaircir un peu le flou habituel des indices et critères de requalification. Requalification qui reste et restera toujours un pis-aller : il faut trouver un cadre juridique et social plus solide que cette jurisprudence instable et ce débat stérile, qui nous oblige à réfléchir à des pistes plus responsables.

Contrat de travail non salarié

Le contrat de travail non salarié pourrait être une piste intéressante. Traditionnellement, c’est un document écrit matérialisant le lien de subordination qui unit un employeur à un salarié, à valeur juridique forte. Il décrit la nature et les caractéristiques de la relation de travail.
À l’opposé souvent se trouvent deux contrats : le contrat de sous-traitance et le contrat de prestation de services. La prestation de service est relative à une tâche que l'on ne sait pas faire en interne, alors que la sous-traitance est la réalisation par une entité externe d'une tâche que l'on sait ou que l’on pourrait faire en interne. Mais dans les deux cas, il s’agit d'un contrat passé entre un donneur d'ordre et un prestataire, un travailleur (indépendant), dont les conditions de travail peuvent d’ailleurs être définies par ce contrat.

Ce contrat de travail non salarié pourrait emporter des obligations de protection et de sécurité, aujourd’hui totalement absentes des usages. Car ce qui motive les procès en requalification, ce n’est pas l’ardeur d’un combat empanaché pour la progression du droit, mais bien plus bassement la recherche d’avantages (ou d’acquis) sociaux traditionnellement concédés aux salariés, comme les indemnités de licenciement ou le droit au chômage.

Quand on écoute les travailleurs indépendants liés de près à un ou plusieurs donneurs d’ordre, ce qu’ils demandent est simple : pouvoir bénéficier d’un délai de prévenance avant la rupture du contrat, pouvoir bénéficier de garanties de paiement rapides, pouvoir être soutenu en cas de coup dur par un fonds de soutien économique... en bref, obtenir des garanties de sécurisation.

Les idées ne manquent pas. Exemple avec le fonds de soutien économique qui serait alimenté sur la base de cotisations volontaires des donneurs d'ordre, qu'il s'agisse de plateformes numériques, de grands groupes ou d'acteurs du bâtiment, par exemple. Elles trouveraient dans cette démarche volontaire une façon de fidéliser leurs prestataires.

Oui, le projet est ambitieux ! Oui, il s'agit de créer un objet hybride entre code du travail et code de commerce ! Oui, ils seront nombreux, les opposants à la réflexion mais, elle se doit d'être riche, car en matière d’innovation juridique, peu de choses ont été faites à ce jour. Les experts du domaine sauront s’en charger, faisons leur confiance pour sortir de cette impasse actuelle, et pour préfigurer un droit enfin adapté à la collaboration entre actifs.

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