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Interview de Grégoire Leclercq pour le BIPE

Le BIPE, en liaison avec la société AssetFi, publie chaque mois une lettre d’information macroéconomique avec le témoignage d’une personne possédant une expérience et une vision originale de l’économie. La lettre mensuelle est envoyée à 500 personnalités qui sont surtout des économistes et des financiers de la place de Paris, dont un grand nombre travaille dans des grandes associations, des mutuelles et des organismes de prévoyance. Voici l'interview du président de la Fnae Grégoire Leclercq réalisée par le BIPE et publiée en décembre 2016

Comment analysez-vous quantitativement et qualitativement l’auto-entreprenariat ?

Au niveau quantitatif, on dénombre 1 150 000 auto entrepreneurs inscrits administrativement, c'est-à-dire reconnus actifs au sens de l’URSSAF. Sur ce total, seuls 750 000 facturent du chiffre d’affaires et sont économiquement actifs. Le ratio entre les actifs économiques et les actifs administratifs est donc voisin de 65 %. La donnée la plus importante est celle du chiffre d’affaires généré : le chiffre d’affaires, en légère hausse, est actuellement de 10 000 euros par an. On est donc très loin des plafonds à respecter pour le statut auto entrepreneur qui sont de 32 900 € pour les prestations de service et d’artisanat, et de 81 500 € pour les activités commerciales. Les autoentrepreneurs ont donc énormément de difficulté à se développer économiquement, à grandir et à chercher de nouveaux clients. Ce sujet préoccupe les acteurs économiques, les fédérations professionnelles, et les organismes d’accompagnement.

Il est important de noter la répartition entre les secteurs. Trois grands secteurs sont représentés : le commerce regroupe 30 % des inscrits, l’artisanat (qui inclut les chauffeurs VTC) 30% et le reste, 40%, est représenté par les professions libérales, le conseil en organisation, les professions intellectuelles, le coaching, les professions graphiques et toutes les nouvelles professions liées au numérique. Cette dernière population a d’ailleurs tendance à se développer plus vite que celle du commerce et de l’artisanat car les nouveaux métiers qui apparaissent dans l’économie digitale, le conseil aux entreprises, les nouvelles médecines,etc, sont en forte explosion.

Le troisième élément à prendre en compte est le volume entrant chaque année dans le dispositif. En vitesse de croisière, 280 000 à 300 000 nouvelles personnes s’inscrivent par an, contre 100 000 radiés du régime autoentrepreneur.  Le flux entrant est donc toujours  très important et il se répartit de la façon suivante : 40 % des entrants viennent de Pôle Emploi et 60 % viennent d’une activité déjà salariée, ou sont fonctionnaires, ou sont retraités ; ces derniers complètent leurs revenus avec leur auto entreprise. On retrouve ici ceux qui ont du temps libre et une passion, ceux qui ont une compétence et ont envie de la monétiser en s’inscrivant dans l’auto entreprenariat en parallèle du régime de salarié ou de retraité.

Quels sont les risques auxquels le travailleur indépendant est confronté, notamment en matière de protection sociale ?

Il faut partir du principe que l’auto entrepreneur est un travailleur indépendant comme les autres. Il est « mangé à la même sauce » que le commerçant, l’artisan ou les professions libérales classiques : il relève du RSI pour la maladie, la maternité et la retraite (à l’exception des professions libérales dont la retraite est gérée par la CIPAV). Il a donc effectivement une protection sociale différente de celle des salariés du régime général de SS, avec des contributions sociales qui sont pour l’auto entrepreneur calculées en pourcentage du chiffre d’affaires, ce qui explique en grande partie le succès du dispositif puisque vous ne payez de cotisations que si vous avez du chiffre d’affaires. C’est cela qui rend les choses attractives, lisibles, peu risquées.

Cet avantage-là est porteur d’un risque qui est le corollaire direct de cet avantage. Ainsi si vous ne faites pas de chiffre d’affaires, vous n’aurez aucun trimestre de retraite validé. Votre protection sociale va se dégrader au fil des années et vous aurez finalement des protections sociales sur la partie chômage et indemnités journalières quasi inexistantes. On pourrait dire que cela ne choque personne dans le travail indépendant, mais les nouveaux entrepreneurs découvrent que la protection sociale est beaucoup moins favorable que celle du régime général salarié : or cette population qui vient souvent du régime salarié est habituée à des prestations de chômage, au bénéficie d’une mutuelle payée par l’employeur, à des congés payés, des arrêts maladie pris en charge par l’entreprise etc… Elle découvre qu’elle n’a rien si elle part en congé, n’a pas de chômage si elle n’a pas de client  et découvre une forme de précarité.

L’impact social est très important puisqu’il touche plus d’un million d’entrepreneurs dans le secteur. Le risque le plus important est bien celui là. Nous essayons à la Fédération d’une part de le faire toucher du doigt par le travailleur indépendant avec de la pédagogie adaptée et d’autre part de sensibiliser le RSI, la CIPAV, l’ACOSS, l’URSSAF pour aller à terme vers une convergence des droits sociaux et une meilleure protection sociale.

On oppose le modèle de l’économie collaborative et celui de l’uberisation.

Pourquoi faut-il les distinguer ? Quels sont les avantages et les inconvénients des deux dispositifs ?

Il est important de rappeler que ces deux dispositifs reposent sur trois leviers. Le premier, c’est que nous sommes tous confrontés à la révolution digitale depuis 30 ans qui est désormais arrivée à maturité. Nous sommes tous acquis aux nouvelles technologies, au smartphone, à l’ADSL, nous avons tous accès de façon très rapide à l’information et nous sommes sur les réseaux sociaux. Nous sommes devenus des consommateurs de la révolution digitale et des outils digitaux de masse.

Le deuxième levier, c’est que, avec l’autoentreprise, on est en présence d’une révolution des modes de travail, avec de nouvelles formes d’activité : le travail indépendant est devenu quelque chose de très banal – on connait tous un indépendant, un free lance entrepreneur dans nos familles, dans nos relations. Sur le marché, émerge une masse énorme de prestataires capables de réaliser des missions très simples ou très qualifiées, à la tache, à l’heure, à la journée, dans des formes de travail qui ne sont pas du tout celles que l’on a pu connaitre pendant 60 ans.

Le troisième levier est celui de la consommation. Depuis 2-3 ans, le consommateur occidental, et notamment français, est devenu pressé, exigeant, en demande de plus d’ergonomie et de transparence, voulant comparer les prix et les services, partager ses expériences sur les réseaux sociaux et se posant la question de la façon dont il va consommer demain. Certains peuvent être tentés par une forme de décroissance : « je veux moins d’actifs et plus d’usages, et je ne veux plus du tout de la façon de consommer d’avant ». On est alors dans la recherche d’une meilleure optimisation des acquisitions.

Ces évolutions font émerger deux modèles très différentes : le modèle de l’économie collaborative et celui de l’uberisation. L’économie collaborative, c’est le fait de partager ensemble entre particuliers, de « peer à peer », un bien, un actif, un service, via les nouvelles technologies, sans faire appel à des indépendants. On voit ainsi émerger Blablacar, Drivy, et des plates formes entre particuliers qui se partagent un actif, un bien comme une voiture, une chambre de bonne, une tronçonneuse, une perceuse, une heure de bricolage, etc. Finalement, ces plates formes vont concourir à une forme de régulation d’achat d’actifs en préférant l’achat d’usage. C’est l’économie collaborative au sens propre.

L’économie d’uberisation ou, selon le terme français, de plateformisation, c’est le recours à des prestataires indépendants plutôt que salariés pour réaliser des missions de service. Cela couvre une gamme très large de missions : du conseil juridique, comptable, aux missions de transport, déménagement, restauration, coiffure, graphisme, conseil en marketing, au total une quarantaine de secteurs sont en voie d’être uberisés – plateformisés. La plate forme regroupe d’une part de nombreux indépendants pour réaliser des missions et de l’autre des consommateurs qui vont faire appel à un indépendant déclaré comme tel en passant par la plate forme. C’est un modèle à trois au lieu de deux comme dans l’économie collaborative où ce sont des particuliers qui échangent entre eux.

Si l’on veut comparer, il y a des avantages et des inconvénients dans les deux modèles. Dans l’économie collaborative, le principal inconvénient est le régime fiscal puisqu’il n’y a pas ou peu de régulation fiscale (chez Blablacar ou Airnb, la règle fiscale a évolué durant l’été). Les personnes gagnant 200-300 euros par mois ne déclarent actuellement rien, ne payent pas de taxe de séjour et les particuliers qui consomment n’auraient pas consommés dans cette proportion chez un prestataire classique. On assiste ainsi à une légère forme de cannibalisation des acteurs traditionnels.

Les enjeux sont beaucoup plus forts dans l’économie dite uberisée puisqu’un réseau d’indépendants émerge qui doit payer des cotisations et la question se pose de savoir si les plates formes contribuent ou non à leur protection sociale. Le réseau traditionnel peut se sentir attaqué par des nouveaux intervenants qui n’étaient historiquement pas forcément leurs concurrents directs dans leur secteur. Par ailleurs, certaines platesformes ont des actions de masse très grandes, avec des marques de référence  comme Booking, Uber et bien d’autres. D’autres émergent  et elles vont installer des marques de référence qui vont en partie capter une part de la clientèle des marques traditionnelles. Les enjeux sont très importants en matière de marketing, de concurrence, de fiscalité, de protection sociale et de big data puisque toutes les données que les consommateurs donnent gratuitement aux plateformes sont utilisées, réutilisées et valorisées ensuite souvent depuis des sites américains.

Il y a un lien très fort entre les plates formes et le développement de l’auto entreprenariat. Cela va-t-il continuer et comment peut-on l’évaluer ?

Oui, il y a un lien direct entre l’autoentreprenariat et l’uberisation. Je dis souvent qu’il n’y a pas d’uberisation sans autoentrepreneur. L’émergence en France du régime de l’autoentreprise a fait que nous sommes parmi les trois premiers pays du Monde à plébisciter cette nouvelle économie de la plateformisation.

Il y a deux enjeux. Le premier est de mieux contribuer à la protection sociale de tous les travailleurs indépendants et d’apporter une forme de flexibilité et de souplesse aux platesformes : c’est ce que notre Fédération est en train de discuter dans le cadre de la loi Travail et des améliorations peuvent aboutir en matière de protection sociale. Le deuxième enjeu est de faire en sorte que l’uberisation soit bien appréhendée par les politiques et par les acteurs traditionnels : c’est l’objectif de l’observatoire de l’uberisation de mettre des mots sur le concret,  de chiffrer et de circonscrire le phénomène afin que toutes les parties prenantes puissent répondre aux enjeux. Il n’y a rien de pire que de faire l’autruche en espérant que la tempête va rapidement se calmer. Au contraire ; il faut prendre le positionnement opposé : il faut voir les vents qui soufflent, voir comment on peut les canaliser, les réglementer pour que la tempête soit une opportunité et qu’on en tire de nouvelles énergies.

Il faut donc mobiliser les ministres, les parlementaires et les élus locaux sur les enjeux fiscaux et sociaux de la nouvelle économie. Il faut également agir en direction des acteurs économiques traditionnels et les sensibiliser sur l’impact du digital et l’impact très fort du collaboratif sur leur activité. En effet aujourd’hui vous pouvez être un acteur traditionnel et jouer le jeu des réseaux sociaux, des remontées clients en direct, et co-construire une marque compte tenu de l’expérience de vos clients, en offrant in fine un service plus ergonomique et plus attractif alors que l’offre de valeur est à peu près la même.


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