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Xavier Delpech : "l’auto-entrepreneuriat est devenu un phénomène de masse"

Sommaire

Xavier Delpech est maître de conférences associé en droit privé à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et rédacteur spécialisé en droit de l’entreprise aux éditions Dalloz. Il a écrit de nombreux articles en droit de l’entreprise, notamment au Recueil Dalloz. Il est l’auteur de « Devenir auto-entrepreneur », ainsi que d’un ouvrage consacré au fonds de commerce et à l’EIRL. Il va publier prochainement un livre sur la SARL. Il enseigne le droit des affaires et le droit des contrats à la Sorbonne, ainsi que dans plusieurs institutions, tant en France qu’à l’étranger. Il est également formateur.

Quel bilan tirez-vous du régime de l’auto entrepreneur ?
Très positif incontestablement. Je ne veux pas vous abreuver de statistiques mais me contenterai de vous citer deux données chiffrées : selon l’INSEE, trois quart des auto-entrepreneurs n’auraient pas créé leur entreprise si le régime de l’auto-entrepreneur n’existait pas. Par ailleurs, il existe à ce jour environ 800 000 auto-entrepreneur actifs, ce qui veut bien dire que l’auto-entrepreneuriat est devenu un phénomène de masse, qui s’est imposé dans toutes les couches de la société. Nombreux sont ceux qui comptent au moins un auto-entrepreneur dans leur famille ou parmi leurs amis.
 
En même temps, il ne faut pas trop attendre du régime de l’auto-entrepreneur. Vu les faibles plafonds de chiffre d’affaires imposés par la loi, il est logique que l’on ne puisse vivre de sa seule auto-entreprise.
 
Selon vous, quelles sont les conséquences d’un tel régime en termes d’impact social, sociologique, financier ?
L’impact réel du régime de l’auto-entrepreneur est pratiquement impossible à mesurer. Se contenter de raisonner en termes de montant de cotisations et d’impôts versés par les auto-entrepreneurs est très réducteur. Il vaut mieux aborder la question en termes qualitatifs, en s’appuyant sur les témoignages de ceux qui ont expérimenté le dispositif de l’auto-entrepreneur. Ce que l’on constate, pour se limiter à l’analyse d’un sentiment largement partagé, c’est que beaucoup de nos concitoyens, qui exercent par exemple une activité salariée ou occupent un emploi dans la fonction publique, se rendent compte qu’ils n’ont pas beaucoup de perspectives d’évolution dans leur profession et ont le sentiment de ne pas avoir de reconnaissance de leur employeur alors qu’ils se dévouent corps et âme à leur travail. D’où des phénomènes de démotivation ou de burn out, dont la presse se fait d’ailleurs régulièrement l’écho. Dans ce contexte de désenchantement, le dispositif de l’auto-entrepreneur a offert à ces personnes, qui ont souvent plein d’idées et de l’énergie à revendre, un cadre juridique attractif pour développer une activité à leur compte. Ainsi les a-t-il aidés à donner à nouveau du sens à leur existence. Et ce n’est pas rien.
 
Bien entendu, il ne faut pas le nier, des abus ont été constatés. Certains donneurs d’ordre peu scrupuleux ont détourné le dispositif de l’auto-entrepreneur de sa finalité et l’ont utilisé le dans des situations qui relevaient manifestement d’une relation salariée. Même si de pareils dévoiements ont été médiatisés, ces pratiques semblent quantitativement marginales. Mais elles doivent être poursuivies et sévèrement condamnées.
 
Pensez-vous qu’il faille apporter un soutien aux auto-entrepreneurs ? Pensez-vous au contraire qu’il faille amoindrir le dispositif ?
Les auto-entrepreneurs méritent incontestablement d’être soutenus. Ils ont souvent une idée astucieuse, qu’ils souhaitent faire fructifier et le dispositif de l’auto-entrepreneur leur offre un cadre qui est généralement – mais pas toujours – adapté à cette fin. Mais cela ne suffit pas. Un auto-entrepreneur, c’est aussi un chef d’entreprise, dont le métier nécessite des compétences en gestion, marketing, comptabilité, etc. Or, il ne les a pas toujours, loin de là. D’où souvent un immense gâchis. Une bonne idée sur le papier peut échouer parce qu’elle est mise en œuvre par un mauvais manager, qui n’a pas fait d’étude de marché préalable ou qui n’a pas su adopter une politique de prix réaliste. Tout cela ne s’improvise pas. L’information et la formation des auto-entrepreneurs doit être développée, pour qu’ils ne soient pas livrés à eux-mêmes. Des fédérations comme la vôtre ont d'ailleurs un rôle important à jouer. La formation professionnelle continue des auto-entrepreneurs se développe, quoiqu’encore timidement. Mais il faut sans doute aller beaucoup plus loin.
 
Par ailleurs, cela n’a à mon avis pas grand sens d’amoindrir le dispositif de l’auto-entrepreneur, par exemple, en excluant la possibilité d’exercer une activité du secteur de l’artisanat du bâtiment dans le cadre de ce régime, sous prétexte qu'ils feraient de la concurrence déloyale aux artisans en place. Les auto-entrepreneurs sont tenus des mêmes obligations, en termes de qualification et d’assurance responsabilité civile, notamment, que tous les autres artisans. De toute façon, en raison des plafonds de chiffres d’affaires qui s’imposent aux auto-entrepreneurs, ceux-ci ne peuvent, en pratique, intervenir que sur des microchantiers …. ou, pourquoi pas, en tant que sous-traitant d’un autre artisan, confronté à un pic d’activité par exemple.
 
Quels aménagements pensez-vous qu’il faille apporter au régime ?
Le régime de l’auto-entrepreneur, institué par la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008, on le sait peu, a été créé dans l’urgence. Il était donc nécessairement imparfait. Il est légitime que des modifications lui soient apportées. Il y en a d’ailleurs déjà eu de nombreuses depuis son entrée en vigueur, le 1er janvier 2009. Par exemple a été instituée la perte automatique du bénéfice de l’auto-entrepreneur en l’absence de chiffre d’affaires pendant deux ans.
 
Tout ce qui peut contribuer à améliorer le régime de l’auto-entrepreneur est bon à prendre. Mais il faut demeurer vigilant sur les modifications qui peuvent être apportées à sa réglementation. En particulier, il faudra être attentif aux modifications de proposition du régime de l'auto-entrepreneur que ne manquera pas de faire la mission d’évaluation du dispositif que la ministre Sylvia Pinel a confiée à l’Inspection générale des finances et à l’Inspection générale des affaires sociales.
 
Mais il y a un point sur lequel on ne doit pas transiger : il faut à tout prix éviter les mesures qui remettent en cause la simplicité du régime de l’auto-entrepreneur. Car c’est cette simplicité qui est la principale explication de son succès et qui constitue, en quelque sorte sa « marque de fabrique ».
 
Plus concrètement, s’agissant des aménagements qui doivent être apportés au régime de l’auto-entrepreneur, un certain consensus se dégage : tout le monde est d’accord, en particulier, sur le fait que l’accompagnement des auto-entrepreneurs pourrait être inscrit dans la loi. Cela ne me choque pas, par exemple, si la loi institue un diagnostic obligatoire de la situation des auto-entrepreneurs par un expert-comptable ou un organisme consulaire au bout de deux ans d’activité.
 
Par ailleurs, s’il s’avère que sur certains points, les auto-entrepreneurs bénéficient effectivement d’avantages indus par rapport aux autres entreprises, il ne me paraît pas illégitime que ceux-ci soient limités, voire supprimés. Cela concerne par exemple la dispense de contribution économique territoriale au titre des trois premières années d’activité ou la dispense de stage de préparation à l’installation pour les auto-entrepreneurs exerçant une activité artisanale.
 
Enfin, il semble aujourd'hui acquis que, contrairement à ce qu'avait annoncé le Gouvernement dans la présentation initiale du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2013, le 1er octobre dernier, il n'y aura pas d'« alignement » pur et simple du régime de cotisations sociales des auto-entrepreneurs sur celui des autres entrepreneurs individuels. Si tel était le cas, cela signifierait l'abandon du calcul et du paiement des cotisations sociales en fonction du chiffre d’affaires réalisé et de la règle "pas de chiffre d'affaires, pas de charges", ce qui aboutirait à dénaturer le dispositif de l'auto-entrepreneur. Pour autant, les auto-entrepreneurs doivent savoir qu’ils n’échapperont pas à une hausse du taux de leurs cotisations sociales à partir du 1er janvier 2013. Cela a d'ailleurs déjà été discrètement évoqué depuis quelques mois dans la presse. Ce n’est pas contestable sur le principe, au nom de l'équité et de l'égalité de traitement, car, en réalité, c'est l'ensemble des travailleurs indépendants va subir une hausse de cotisations. Mais, en ce qui concerne les auto-entrepreneurs, l'importance de la hausse annoncée – en particulier à hauteur de 3,3 % pour ceux qui exercent une activité artisanale – a légitimement créé un choc. Il n'est pas acquis que, dans certaines situations particulières, le régime de l'auto-entrepreneur continue à présenter un intérêt. Ceux qui comptent se lancer devront donc être encore plus vigilants que par le passé et s'efforcer de calculer très rigoureusement la rentabilité escomptée de leur projet. Bref, il leur faudra être très professionnel.
 
Pensez-vous que ce modèle soit un modèle d’avenir ?
Oui, à l’évidence. Le tour de force est d’avoir conçu un régime minimaliste – le nombre de règles spécifique de ce régime est en réalité très limité – qui convient à des situations personnelles et professionnelles très différentes. Par ailleurs, on reproche souvent aux lois d’être trop complexes. A juste titre, souvent, d’ailleurs. Avec le régime de l’auto-entrepreneur, on a réussi à faire quelque chose de simple et qui fonctionne.
Et si le régime de l’auto-entrepreneur n’était pas un modèle d’avenir, il ne serait probablement pas observé avec autant de bienveillance au-delà des frontières, par plusieurs pays qui envisagent de l’intégrer dans leur législation.
 
Quels dispositifs plus généraux d’aide à l’entrepreneuriat souhaiteriez-vous voir appliqués ?
Je souhaiterais que les créateurs d’entreprise aient plus facilement accès au financement, bancaire ou autre, business angels, par exemple. Evidemment, cela ne se décrète pas !
 
Il faudrait également songer à généraliser à l'ensemble des micro-entreprises certains éléments du régime de l'auto-entrepreneur qui ont fait la clé de son succès. Je songe en particulier au forfait fiscal et social, grâce auquel le calcul et le paiement des impôts et des cotisations sociales est fonction du chiffre d'affaires réalisé.

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